Si les sneakers sont devenus ce phénomène de mode auquel tout le monde ou presque adhère aujourd’hui, c’est en grande partie grâce au hip-hop. C’est dès le début des années 80 qu’il a joué un rôle majeur dans la démocratisation des chaussures de sport. Il a permis d’opérer leur passage définitif des terrains de sport à la rue.
La naissance du mouvement Hip Hop
Le Hip Hop, c’est quoi exactement ? Cela vient d’où ? Commençons par un rapide cours d’histoire, nous sommes au début des années 70 et il faut traverser l’atlantique et entrer dans New York City pour trouver les premiers fondements de ce nouveau style musical. Dans une époque où les charts sont dominés par le rock et le disco, la contre-culture commence à se développer au travers des « block parties », en particulier auprès de la jeunesse afro-américaine du Bronx. C’est très précisément le 11 août 1973, lors d’une soirée au 1520 Sedgwick Avenue dans le quartier du Bronx, que DJ Kool Herc donna naissance à la mouvance Hip Hop. Installé derrière les platines, il mix avec deux vinyles identiques le but étant d’isoler une séquence rythmique en faisant disparaître les autres éléments afin de créer ce que l’on appellera un « break ». C’est sur un morceau de James Brown qu’il tente son premier break beat : grâce à ses deux vinyles, il passe d’une platine à l’autre et peut ainsi passer en boucle ce fameux break. Les danseurs présents dans l’assemblée, que l’on appellera par la suite « break dancers » ou encore « BBoys », peuvent enchainer les figures plus longtemps.
Considérés comme les deux autres pionniers du Hip Hop, Afrika Bambaataa et DJ Grandmaster Flash viendront apporter leur pierre à l’édifice avec des techniques comme le cutting et le scratch. En parallèle arrivent sur le devant de la scène les « MC’s », qui posent leur voix sur les beats avec des thèmes qui s’articulent autour de leur vie et de leur quotidien dans le ghetto.
Les 70’s – La sneaker intronisée par le breakdance
Revenons désormais à nos baskets. Amorcée par les boucles de Kool Herc et d’Afrika Bambaataa, le breakdance connait un essor fulgurant à partir de 1977, année de la création d’un groupe pionnier de la discipline, le Rock Steady Crew. Rejoins par d’autres groupes adeptes de cette danse acrobatique, nos BBoys vont devoir se chausser de baskets aussi robustes que stylées afin de pratiquer leur art dans un milieu urbain exigeant. Presque naturellement, ces derniers jetteront majoritairement leur dévolu sur la Puma Suède.
Rapide parenthèse, l’histoire retiendra que c’est en 1968 lors des Jeux Olympiques de Mexico que la Puma Suede va se faire connaître au monde entier et devenir une basket iconique lorsque le sprinteur Afro- Américain Tommie C. Smith la brandit au dessus de sa tête puis la pose sur la première marche du podium sur laquelle il est monté pied nu et le poing levé en signe de soutien aux black panthers. Pour la « petite » histoire, il ne s’agissait pas de la Suede mais de sa prédécesseure, la Puma Crack. La même année, la firme allemande fit la rencontre de Walt Frazier, le meneur de l’équipe de basketball des New-York Knicks. Connu pour son excentricité, celui-ci demanda à la marque de lui dessiner une chaussure à son image. Pour répondre à cette demande ils adapteront la Suede en affinant et en élargissant sa semelle et en la rebaptisant « Clyde », en référence au surnom du basketteur.
Médiatisée comme il se doit par notre ami Walt, la Suede ainsi que sa petite sœur la Clyde ne mettront que très peu de temps pour passer des parquets de NBA aux playgrounds, et des playgrounds aux soirées Hip Hop. Elles se forgeront rapidement une excellente réputation de chaussures « faites pour la rue » auprès des amateurs de breakdance. C’est également leur style facilement personnalisable à travers la variété des coloris proposés et des différents types de lacets qui la mettront aux pieds de nombreux new-yorkais.
Les 80’s – la bataille de la street
Formé au début des années 80, et précurseur du rap hardcore, le groupe Run DMC cartonne sur les ondes et dans les salles de concert. Originaire du Queen’s, ils vont porter le Hip Hop à bout de bras et ériger New York comme la Mecque de la basket. Refusant de se conformer au modèle pop, ils arborent fièrement sur scène les mêmes sappes qu’ils portent dans la rue, à savoir sneakers adidas sans lacets, tee shirt oversize et jean baggy sans ceinture (ndlr comme dans les prisons américaines).
En 1986, lors d’un concert au Madison Square Garden le groupe reprendra son morceau mythique My Adidas en référence au modèle adidas Superstar qu’ils brandiront fièrement en l’air, en invitant la foule à en faire de même. Le morceau devient un succès commercial sans précédent et trust les charts pendant près d’une année. Pas insensible à ce coup de pouce venu tout droit du ciel, la marque allemande va dégainer son chéquier et proposer un million de dollar au groupe, pour ce qui deviendra le premier contrat de sponsoring de son histoire avec des artistes.
Au-delà du marketing, c’est toute la relation entre la mode et le hip-hop, le streetwear et le sport qui prend son envol. Un coup de génie d’adidas qui, en reconnaissant déjà l’influence du rap sur le style adopté par la jeunesse, signe en quelque sorte la naissance officielle d’une “hip-hop sneaker culture” et balaye accessoirement Nike alors en pleine expansion. La Stan Smith à un moment où sa popularité disparait, connaît une seconde jeunesse grâce au hip-hop, en France notamment, en dansant le Mia (IAM), au coin d’un HLM3 (Lunatic) ou en suivant les aventures de Vinz (film La Haine). Pendant ce temps, la Puma Clyde à gros lacets est toujours installée chez les B-boys.
De son côté, Nike a deux poids lourds sous le coude. Le premier s’appelle Michael Jordan, que la marque convainc de rejoindre les rangs du swoosh alors qu’il n’envisageait que la marque aux trois bandes. Le second est Tinker Hatfield, designer fraîchement arrivé dans les équipes design de géant américain. De cette association nait en 1988 la mythique Jordan III, à l’imprimé éléphant et son célèbre logo jumpman. Un an plus tôt, le même Hatfield avait déjà en tête un projet qui fera date : la Air Max I (aussi appelée Air Max 87 par les puristes en référence à son année de sortie). Inspiré du centre Pompidou, duquel on pouvait voir les tubes d’aération de l’extérieur, il imagine une bulle d’air apparente. La fameuse technologie Air prend alors tout son sens et la révolution est en marche dans la rue, « T-MAX, Air Max, c’est la street ! » résume Seth Gueko dans son titre « Dodo la saumure ».
1986, l’un des modèles devenus le plus iconique dans le monde du hip-hop est remis en marché sous la pression de trois revendeurs de Baltimore, après quelques années au placard : la Air Force I. Au début des années 90, c’est la basket qu’il fallait absolument porter à Harlem. Tout le monde se les arrache, elle sera même surnommée « Uptown » en référence aux populations des quartiers nord de New York. Jay-Z et son accolyte Damon Dash, pour ne citer qu’eux, contribueront grandement à la démocratisation de cette dernière, et Nelly lui dédiera même un morceau en 2002 intitulé « air force ones ».
Les 90’s – Les Air Max investissent le quartier
Aux Etats-Unis, les années 90 sont celles des revendications sociales et de la violence, la west coast avec le gangsta rap, la east coast avec la politique. Rien de bien appréciable pour les marques de sport qui, malgré le succès de NWA, Public Enemy et consort font un pas en arrière et se recentrent sur les athlètes. La sphère hip-hop jouit d’une image sulfureuse difficile à négocier quand les gangs s’affrontent et que des jeunes se font violemment arracher leurs baskets aux États Unis.
En France, la Air Max 90 et la Air max BW foulent avec succès le bitume de nos quartiers. Mais c’est le modèle de 98, la Air Max Plus TN, alias la “requin” qui écope de l’image de chaussure de quartier par excellence. Vendue en exclusivité par l’enseigne Foot Locker, elle était la plus chère et la plus agressive du rayon. L’Italie elle, tombe sous le charme tape à l’œil de la “silver bullet” 97. Le Japon connaît des faits rarissimes de violence autour de la Air Max 95 qui est régulièrement volées dans un pays très peu habitué à cela.
Tout ceci n’empêche pas les têtes d’affiche du hip-hop mondial de porter leurs pompes en étendard avec une puissance marketing implacable. Style et musique gagnent encore en popularité. Le rap ne disparaît pas, il devient de plus en plus important. Ses représentants les plus influents se lancent dans le business de la mode, comme Jay-Z avec Rocawear. Avec Allen Iverson, le basketball rencontre le hip-hip. Brut,
direct, et connecté au rap game, le rookie impose son franc-parler et son style sur les parquets et derrière le mic’. En 2001, il enfonce la porte qui s’était refermée sur les rappeurs par l’intermédiaire de la marque Reebok. Pour promouvoir sa chausure A5, la publicité met en scène Jadakiss sur une prod’ de Trackmasterz. Le succès est énorme à l’époque et les rappeurs deviennent pour de bon les prescripteurs officiels des sneakers à porter pour être cool. Une aubaine pour les marques qui multiplieront les collaborations avec les rappeurs comme les italiens Fila qui s’associeront à l’époque avec le Wu-tang Clan. Sneakers for ever !
Reebok, toujours omniprésent au début des années 2000 grâce à sa gamme Classics, enclenchera avec le rappeur Rakim en 2002, puis avec Jay-Z et 50 Cent alors qu’ils sont au sommet de leur art.
Vers une culture de masse
Le hip-hop garde une image sulfureuse mais pas seulement, il devient aussi l’un des genres musicaux les plus populaires. Le rap sort des quartiers pour atteindre une cible bien plus large. Aujourd’hui, on ne compte plus les liens entre le hip-hop et les sneakers, qu’il s’agisse de placements produit, campagnes marketing, références musicales ou collaborations plus étroites. Ce sont les jeunes qui décident de ce qui est cool aujourd’hui et de ce qui le sera demain. La jeunesse écoute beaucoup de rap, même la plus aisée. D’ailleurs, depuis 2013, la Air Max à l’image jadis ghetto opère un retour en force et se retrouve aux pieds de toutes les classes sociales. Nike l’a bien compris, multipliant les campagnes et collaborations associées aux rappeurs lors de ces dernières années.
De Travis Scott à Kendrick Lamar, en passant par Pharell William ou encore Kanye West, l’histoire d’amour entre la sneaker et le hip-hop n’est pas prête de s’arrêter. Pas une semaine ne passe sans qu’une nouvelle collaboration/association entre un artiste et une marque de sportswear soit annoncée. Exclusivité ou modèle revisité, ces collabs entretiennent la tendance, définissent de nouveaux styles et prennent part au sein de stratégies de marque inépuisables.